Michelle AUBOIRON & Charles GUY

PETIT TOUR DU MONDE AUBOIRON/GUY – Duo-portrait par Chantale Pelletier

Si l’amour, qui ne nous regarde pas, les a réunis, ces deux-là, c’est l’architecture qui les a soudés et lancés, en parallèle, en symbiose, en complémentarité, dans les mêmes aventures.
Le construit, le vertical, l’art des hommes pour s’abriter entre ciel et terre, c’est ça qui les fait courir d’est en ouest et du nord au sud. S’ils s’échappent du paysage urbain, c’est pour saisir des lignes, des structures, des murs construits par le temps, sculptés par l’érosion. Toujours l’ossature et les jeux de lumières…
Michelle a commencé seule l’exploration, roulant sa bosse avant de rencontrer celui par qui l’ambition allait grandir et le tour du monde s’entreprendre. Ce mariage qu’envient les plus vernis a engendré des dizaines d’expositions.
New York depuis ses hauteurs, Paris, son musée de Paléontologie, son Opéra, son quartier financier de la Défense, ses ponts, les ponts encore, de New York, de San Francisco, les motels américains, le Colorado, le Paris-Dakar, le sud marocain, la Corse et ses arbres, La Havane, Shanghai, Hong Kong… Performances et reportages artistiques se mêlent et se complètent pour construire le monde Auboiron/Guy, où chacun trace sa voie personnelle.

MICHELLEAUBOIRON
Petite, elle voulait dessiner tout le temps au lieu de dépérir à l’école. Elle était même prête à faire de la couture pour avoir droit à dix heures de dessin au lycée technique, où elle enfilera l’aiguille entre deux tableaux, douée au point qu’un des profs estomaqué la fera participer à deux Salons d’Automne à Paris à 15 et 16 ans, Michelle Auboiron a toujours aimé le contretemps.
Entrée à l’école des arts appliqués avec un diplôme de haute couture, elle barbouillera tant et plus et suivra l’atelier de Pichard fameux auteur de BD (Paulette), convaincant dans l’art de montrer l’essentiel. Cadrer, le geste premier, elle s’en souviendra.
Quand elle rallie l’école Boulle, en diagonale d’un cursus qui n’appartient qu’à elle, elles sont deux filles au milieu de 6OO garçons. Celle qui se sait déjà femme d’extérieur se frotte à l’architecture d’intérieur. Douée pour faire du très beau avec du presque rien, la diplômée sera fort bien nourrie par le côté déco pendant quelques étés et même lorsque la bise sera venue… Mais l’évidence n’est décidément pas sa tasse de thé.
Dans les années 8O, d’aménagements en portraits de famille, la fascinée par un dehors dont elle invente le dedans s’agite, réalise une sculpture hyperréaliste pour le Centre Pompidou, peint des parcours dans son atelier (séries Storyboard), 5O unes du journal Libération, détourne des objets usuels en architectures miniatures comme un buffet Henri II transformé en immeuble new-yorkais, ou un électrophone “La Voix de son Maître” en Crystal
Palace…
En 1987, elle est en pétard et décide une fois pour toutes de travailler dehors et en dehors des circuits institutionnels créateurs d’embonpoint. Elle s’embarque au volant d’un camion publicitaire qui la transporte dans Paris pour peindre, en couleurs primaires et en format 4 x 3 m, sur son très m’as-tu-vu véhicule sponsorisé, les monuments d’apparat dont le Grand Palais où la FIAC se pavane….
Michelle avance. La méthode Auboiron est en train de naître : rendre compte du paysage urbain par un travail itinérant et obéir à certaines contraintes afin de transformer l’instant en performance : une toile par jour.
En 89, une atmosphère encore plus personnelle se dessine dans une série représentant des chambres d’hôtel en noir et blanc sur papier peint : des lieux vides, sans personnage, exprimant un étrange rapport entre l’intérieur et l’extérieur. Nous y sommes presque.
Parcourant le monde pour y construire ses toiles, son travail d’architecte à elle, elle se met en danger, peint dans l’inconfort, au milieu du bruit, de la foule, de la circulation, dans la canicule, et toujours dans un temps contraint : un jour, une toile.
Chaque jour, recréer l’atelier itinérant. Transport des toiles, des peintures, des matériels, remise en place des châssis, agrafage de la toile… lourd protocole qui fait partie du processus de création.
Peintre des villes, elle efface tout personnage de ses œuvres. Toute la vie est derrière des façades folles avec leurs milliers de fenêtres anonymes. L’atmosphère aussi réaliste qu’irréelle de ses toiles semble demander des comptes aux constructeurs de ces mégalopoles. Dans un monde qui condamne tout investissement physique dans le geste artistique, elle a l’audace de revendiquer le droit de manier des pinceaux pour représenter et témoigner ainsi de la transformation monstrueuse des vitrines de notre planète dingue, interrogeant nos mémoires et le peu d’humanité qu’il nous reste.

CHARLESGUY
Architecte DPLG qui a innové trop tôt dans le domaine de l’archi 3D pour y vieillir longtemps, Charlie a su faire s’envoler des milliers de ballons pour fêter l’an 2OOO avec le soutien du Dalaï Lama, de quelques nippons fous, de trente députés, de milliers d’enthousiastes et les lauriers de la Région Ile-de-France.
Tombé dans la bassine du numérique et de l’informatique quand il n’était pas bien grand, il est désormais président directeur animateur d’une entreprise dont il supervise chaque ministère.
Webmaster, créateur de sites Internet, vidéaste, il aime bien être plusieurs à la fois.
Il nous intéressera surtout de dire ici qu’il est photographe, et, derrière ses gros calibres, cadreur très patient. Entre le panorama et le détail, la photo et la vidéo, le texte et l’image, il aime le va-et-vient. Yeux levés vers les buildings, il jette des coups d’œil rapides vers la gamine qui passe, l’enseigne qui clignote, les vitrines qui s’allument, et, là-haut, au milieu de l’attroupement, Michelle qui peint.
Dans les villes de Charles Guy, le linge sèche, les climatiseurs s’échauffent, les tramways s’amusent, les bagnoles font des mines, les barres d’habitations foutent la trouille.
Chaque ville dont il consigne les lignes et les juxtapositions n’est pas une ville mais cent villes à la fois, encore d’hier, déjà de demain. Tout y bouge à un rythme qui frise l’électrocution, chaque cliché raconte une métamorphose en train de se produire, et ses photos, sonores, nous mettent de gros vacarmes et de curieux silences dans les yeux.
Dans son regard, chaque ville est plusieurs, et il aime nous y embarquer successivement.
Entre deux lézardes et une mauvaise herbe, un éclat de lumière et une accumulation de fenêtres, il y a toujours un rire qui pousse.