6 décembre : L’énigme du dimanche… Chantal livre quelques indices…
Je suis Philippine. Ce n’est pas un prénom mais une nationalité.
Je suis Philippine. Ce n’est pas un prénom mais une nationalité.
J’ai de la chance. Je gagne 4000 dollars Hong Kong par mois (350 euros) alors que le salaire minimum est de 3750 (328 euros). Je suis nourrie, enfin, on me donne en plus 400 dollars HK par mois (35 euros) pour que je puisse m’acheter des choses de chez moi et manger chez mes patrons.
J’ai de la chance. Sous leur maison, ma chambre est propre. Petite et pas très claire. Mais j’ai récupéré deux lampes sur lesquelles j’ai posé des tissus roses. J’ai un lavabo avec une douchette et des toilettes. J’ai une jolie natte à côté du matelas, et ma collection d’images.
J’ai de la chance. Mes patrons ne me battent pas. Monsieur n’essaie pas de me coincer pour fourrer ses pattes partout dans mes dessous, j’en connais pourtant beaucoup qui sont moins chanceuses que moi. Madame pleure souvent, personne ne sait pourquoi, même pas elle. Ses deux enfants la fatiguent. Ils font effectivement beaucoup de bruit, parce que l’appartement n’a pas de dehors, et que c’est difficile pour eux, l’école, pas de famille pour faire des fêtes et la ville tellement serrée qu’il y a jamais nulle part où s’arrêter.
J’ai de la chance. J’envoie 3500 dollars HK par mois à mon père et ma mère qui s’occupent de ma fille. Elle a quatre ans et demi. Tous les ans, on me paye un billet pour que je retourne chez moi. Comme ça, je vois mon bout de chou grandir et je la gâte avec mes économies.
J’ai de la chance. J’en connais beaucoup, des Philippines, qui sont au Moyen-Orient, dans des pays sans salaire minimum pour nous, sans assurance, sans transport. Certaines disent que Hong-Kong, c’est trop dur, c’est vrai, c’est plus dur qu’ailleurs, mais c’est mieux pour nous.
J’ai de la chance. J’ai congé tous les dimanches, c’est obligatoire, et, après l’office à la Methodist church de Johnston road, je retrouve mes copines à Central. Comme on sait pas où aller, on s’installe par terre, où on veut. Là, on pique nique, on papote et on joue aux cartes. Tous les deux mois, on envoie des gros ballots de tissus, de vêtements, de lampes, de radios, de téléphones… à nos familles. Des choses récupérées dont les patrons veulent se débarrasser et ça fait des sacrés pactoles. On fait ça tous ensemble avec des transporteurs qui ont l’habitude de nous et nous d’eux.
J’ai de la chance. Tous les dimanches, on s’amuse bien avec mes copines, assises sur nos cartons dépliés et nos tissus de couleurs étalés par terre. On a notre coin sous le grand building d’HSBC (c’est drôle, il parait que c’est une des banques les plus riches du monde, on se demande à quoi ça sert, je suis sûre que le dimanche, ils rigolent moins que nous !!). Tess est très bonne cuisinière, c’est elle qui fait les meilleures gamelles, et c’est moi qui réussis le mieux les gâteaux.
On a de la chance. Les rues sont barrées pour qu’on soit tranquilles, ils sont gentils avec nous, il faut dire qu’on est très nombreuses (je dis nombreuses, car il y a très peu d’hommes, un sur cent peut-être, c’est des chauffeurs en général), on est donc très nombreuses, plus de 100.000 à se retrouver comme ça le dimanche, certains disent 200.000, et même 300.000, il faut dire qu’il y a aussi les Indonésiennes et les Sri-lankaises, nous on dit les musulmanes, qui se retrouvent du côté de Victoria Parc.
On a de la chance. Il parait que ce genre de chose n’existe nulle part ailleurs. C’est normal, ici, la ville est tellement compressée qu’il faut bien empiler les choses et les gens. Tess prétend que s’ils nous laissent tranquilles le dimanche, notre jour de fête, le seul jour, c’est parce que ça leur fait peur, ces rassemblements. C’est sûrement vrai, parce que souvent on voit des gens qui se détournent qui s’en vont vite fait, ils croient que c’est la révolution. Ils sont bêtes. C’est juste notre dimanche. Le jour du seigneur. Le jour où on a de la chance.
Site Internet de Chantal : https://chantalpelletier.free.fr
Le blog de Chantal : https://chantalpelletier.hautetfort.com/
Ces regroupements dominicaux des Philippines sont fascinants, car, au moins une fois dans l semaine, elles sont visibles, en CENTRE VILLE (!!!), pacifiquement, dans une convivialié qui leur est propre et qu’on n’a pas envie de troubler. Le soir même, elles rejoignent les familles chez qui elles travaillent, c’est pas rose… Mais il y a ce dimanche. Y a-t-il quelque chose à apprendre de cette façon hongkongaise de laisser une place, certes mineure, mais visible aux immigré(e)? Imaginez les réactions si, au moins 10 000 algériennes viennent chaque dimanche pique-niquer sur l’esplanade des Invalides ?
en fait c’est assez discret car de chez moi, je n’avais rien vu ….
Bonne question, Jean-Marie… mais c’est aussi parce que leur pouvoir d’achat est tellement faible qu’elles n’ont d’autres endroits où aller que dans la rue… et pourtant elles travaillent dur et 6 jours sur 7… sans avoir de « chez soi »… à méditer…
Normal, Lecout, je ne pense pas qu’on en aie jamais parlé dans nos média farnçais…
Sensation de pénétrer un poulailler, ça piaille, ça caquette… En s’approchant, on comprend que c’est enfin l’heure de la récré : ça papote, ça joue au carte, se masse, dort, écoute la radio…
Rassemblement d’une pauvre « basse cour » sous celle du palais de l’oncle Picsou. Au moins elles ont ça, me suis-je dit…
Pauvre humanité!